Hécate : La divinité trimorphe des Enfers

Hécate occupait une place unique dans le paysage religieux

La mythologie grecque ancienne dépeint Hécate comme une déesse qui provoque une fascinante métamorphose divine. En effet, cette déesse mystérieuse, qui est d’abord une déesse protectrice, devient au fil du temps une déesse maléfique. Quelles sont les raisons de cette mutation, et quels en sont les effets sur l’imaginaire collectif de la société hellénique au moment de ce changement ?
L’histoire de la déesse doit donc beaucoup au poète Hésiode, qui la situe, sans la nommer, dans son chant générationnel de la Théogonie. Ici, la déesse émerge comme une divinité fondamentale, reconnaissable de tous. Sa filiation titanique se retrouve aussi en Hésiode, puisque ce dernier descend des mêmes Titans, Phœbé et Caius. Les vers (411-452) que notre poète lui consacre sont la première présentation de sa puissance.

 

La déesse a une emprise extraordinaire sur la terre, la mer, et le ciel. Hésiode ne l’évoque pas encore pour son futur domaine souterrain. Il montre cependant en elle la puissance fondamentale, l’« influence », comme disent nos anthropologues, qui fait d’elle la grande servante de la Terre et des Cieux.
L’Hécate de l’Antiquité n’a pas toujours été celle que nous connaissons aujourd’hui. Si, à son origine, elle était surtout vénérée comme déesse de la fertilité, la période qui nous intéresse ici — le Ve siècle avant notre ère — marque un tournant dans sa représentation. Son évolution s’accompagne d’une dissolution de son ancien caractère bienveillant, qui la mêlait à d’autres figures comme celle d’Artémis. L’Hécate du Ve siècle est une figure sombre, associée à la magie et au monde souterrain.
Les intersections se transforment en lieux de dévotion, véritables carrefours où s’opère l’union des trois chemins qui mènent aux trois pans de l’existence. Ils sont devenus mes sanctuaires, autant de lieux de passage, autant de lieux où je peux mveer intermédiaire entre ces mondes que sont la vie intérieure, celle que je vis en toutes sortes de minutes et en tous sorts d’emotions, et la vie visible que je partage, par exemple avec mes voisins, ma famille, mes amis, et la multitude de gens qui, comme moi, vivent ici et maintenant.
L’époque hellénistique et romaine va enrichir considérablement la symbolique de la déesse. La puissance divine de la déesse émerge alors des papyrus magiques grecs sous une forme inédite. Ses infinies associations se révèlent dans les formules de ces merveilleux et donnent à ces derniers le caractère de « livres de magie pratiquée sous la direction d’une divinité ».

Hécate est une déesse dont Plutarque nous a livrés une menace d’interprétation. Figure intellectuelle, sa présence dans l’écriture est en fait intemporelle et s’est accompagnée tout au long de l’Antiquité de grandes variabilités. Son ovalité est telle que la déesse peut à tout moment prendre une figure giratoire, s’accompagnant, à la suite de la critique philosophique et des tentations de l’imaginaire, de nombreuses facettes peuplant le monde de l’Antiquité. Il s’agit là d’un phénomène tout à fait classique puisque, en dépit de l’absence d’un standard d’iconographie rigide, toute divinité antique se doit d’afficher une belle ovalie.
Cette métamorphose d’Hécate, de déesse bienfaisante en puissance chthonienne complexe, montre l’évolution de la société grecque antique vers toujours plus de spiritualité. Le parcours d’Hécate à travers le temps et l’espace illustre bien cela. C’est évidemment une figure divine très prisée, tant chez les Grecs que chez les Romains, mais elle est encore largement cultivée et comprise dans nos sociétés contemporaines. Si Hécate ne représente pas un visage du divin universel, elle demeure une figure divine aux visages multiples, omniprésente hier et aujourd’hui, au cœur de la société.

Culte et rituels

Hécate occupait une place unique et multiforme dans la nature complexe des religions grecque et romaine de l’Antiquité, non seulement sur la scène publique, mais aussi dans le monde privé et magique de ses adorateurs. Elle n’était pas seulement une déesse de niche, mais une déesse très importante et pratique, au service de toutes sortes de personnes tout au long de sa longue histoire, et ce jusqu’à l’époque moderne.
Les sanctuaires d’Hécate étaient souvent situés dans des zones frontalières. Cela faisait partie de son travail en tant que déesse chtonienne. Elle était la gardienne des transitions, des frontières et, après tout, elle était elle-même une passeuse de frontières. Un autel circulaire dédié à Hécate a été découvert dans l’enceinte d’Apollon Delphinium à Miletus, avant 500 av. J.-C. Cet autel vertical est la première et la plus ancienne représentation d’Hécate que je connaisse.
À Athènes, elle était vénérée en tant qu' »Epipyrgidia » à l’entrée de l’Acropole, juste à côté d’Hermès Propylée. Cet emplacement souligne le rôle d’Hécate en tant que protectrice des entrées et des portes. À la même époque, de petits autels et des statues d’Hécate trimorphe (connues sous le nom d' »hecateia ») se trouvaient devant les résidences privées et surtout aux carrefours.
L’un des centres les plus importants de son culte se trouvait à Lagina, en Carie, près de Stratonikeia. À l’époque hellénistique et romaine, elle y était vénérée comme une déesse mère régionale. Le sanctuaire de Lagina abritait un temple impressionnant avec une frise en relief, où elle était représentée dans diverses scènes mythologiques.
Les offrandes et les sacrifices faits à Hécate étaient aussi étranges que la déesse elle-même. À Athènes, les témoignages de son culte sont particulièrement abondants et diversifiés. Parmi les aliments privilégiés par la déesse, le poisson qui lui était servi était le moins propice : le rouget (trigla), qui était normalement évité dans les autres cultes. Nous entendons également parler d’offrandes de gâteaux sacrés, qui étaient ¾ comme le mot « sacré » le suggère¾ une consécration supplémentaire de l’espace cultuel et l’établissement d’une relation qui était renforcée par la consommation communautaire des gâteaux.
Offrir un chiot à Hécate était peut-être la forme de sacrifice la plus connue. Cette pratique, que l’on retrouve dans différentes régions comme Athènes, Kolofona, Samothrace et Thrace, faisait partie d’une double procédure dans laquelle l’acte de mise à mort avait un but purificateur et la chair de la victime servait de nourriture à la déesse. Son lien avec les chiens était un élément important de son image, ces animaux étant considérés comme ses compagnons dans le monde nocturne qui était son domaine.
Une tradition inhabituelle était celle des « dîners de l’Ekateria », qui étaient servis aux carrefours tous les mois à la nouvelle lune. Ces repas, composés de pâtisseries variées, d’œufs, de fromage et de viande de chien, étaient destinés à Hécate et à sa légion de compagnons spirituels.
La magie et le monde souterrain ont fait d’Hécate un acteur clé dans de nombreux rituels magiques. Lors de l’élaboration de parchemins magiques ou de malédictions, il était courant d’invoquer Hécate ainsi que d’autres divinités du monde souterrain, telles que Hermès Chthonius, la Terre Chthonia et Perséphone.
Les petites plaques de plomb sur lesquelles sont gravées des malédictions, appelées katadesms, fournissent une mine d’informations sur l’utilisation magique d’Hécate. Dans un katadessmus de l’Athènes hellénistique, Hécate Chthonia est invoquée « en même temps que les furieuses Erinyes », ce qui en dit long sur sa nature et sa fonction dans la magie. Hécate, telle qu’elle était comprise à l’époque, avec ses attributs terrifiants et vengeurs, était une présence familière dans les pratiques magiques de l’époque.

Dans les pratiques magiques, elle était souvent identifiée ou associée à d’autres divinités comme Bavo, Brimo et Selene. Ce mélange d’identités renforçait son pouvoir aux yeux de ses magiciens et de ses adorateurs.
La vénération et les rites d’Hécate mettent en évidence une déesse qui s’étendait sur les domaines des vivants et des morts, jetant un pont entre la lumière et les ténèbres, créant de puissantes protections et, lorsque cela était ordonné, délivrant de puissantes destructions. Le culte d’Hécate était caractérisé par une grande complexité, mais plus encore par une grande ambivalence. Et pourquoi pas ? Hécate s’occupait des choses difficiles qui régissent nos vies dangereuses et celles de ceux que nous aimons.

 

Sa présence dans l’art et la littérature

L’art et la littérature représentent sa nature et son évolution à travers les siècles. Les premières représentations d’Hécate diffèrent grandement des interprétations modernes, mais la figure reste fascinante et inspire même de la crainte à ceux qui s’interrogent sur sa signification.
Les représentations artistiques d’Hécate se répartissent principalement en deux catégories : celle à un visage et celle à trois visages. La plus ancienne représentation du type monoface est peut-être une statuette en argile d’Hécate assise, datant probablement de la fin du VIe siècle avant J.-C., qui lui a été dédiée par Aegon.
À partir de 430 av. J.-C., la déesse des carrefours est souvent représentée sous la forme d’une figure féminine debout avec trois têtes ou trois corps, chacun représentant l’une des trois voies à emprunter au carrefour. La variante tricéphale d’Hécate serait l’invention d’Alcamène. Elle est presque toujours représentée avec une coiffe divine (appelée « polo ») et tenant une torche dans chaque main, et apparaît parfois avec toute une série d’autres attributs, dont une épée, des serpents, des branches, des fleurs et une grenade.

Sur l’autel de Zeus à Pergame, une figure importante est Hécate, qui crée une scène dans laquelle elle et son chien affrontent un géant serpentin. Cette représentation souligne la « triple nature » de la déesse, qui est représentée avec trois têtes et trois paires de bras. Une autre représentation exceptionnelle d’Hécate apparaît avec Artémis dans un cratère où Hécate a un aspect très différent, même si elle reste un élément essentiel de l’action représentée. Dans ce cas, Hécate bondit dans la scène, exhortant les chiens frénétiques d’Aktaeon.
La déesse Hécate apparaît dans de nombreux types de littérature grecque ancienne, de la poésie lyrique au théâtre. Dans les tragédies d’Eschyle, lorsque le titre « Hécate » apparaît, c’est en référence à Artémis, qui est à son tour liée à Hécate, notamment en ce qui concerne les questions d’accouchement et de jeunes animaux. Dans Médée d’Euripide, le personnage principal fait appel à Hécate, renforçant ainsi le lien de longue date entre la déesse et la magie.
Les auteurs grecs de l’Antiquité avaient tenté de transmettre verbalement la déesse triforme dans la comédie de Chariclès, qui invoque avec humour Hécate comme « Despina Hécate des trois voies, de la triple forme, du triple visage, fascinée par le triple poisson [barbeau] ».
Le mythe et le culte éleusiniens sont notamment marqués par sa présence. Dans l’Hymne à Déméter d’Homère, Hécate aide Déméter dans sa recherche de Perséphone et, après les retrouvailles entre la mère et la fille, devient « ministre et accompagnatrice » de la Fille. Les potiers attiques ont inclus Hécate dans leurs versions du retour de Koris et de la mission de Triptolème.

Η Εκάτη ήταν άμεσα συνδεδεμένη με τους μάγους

Son influence s’étend au-delà de l’Antiquité, laissant une empreinte indélébile sur la culture moderne. En littérature, elle continue d’inspirer les écrivains et les poètes. Sa nature sombre et son lien avec la magie en font une figure populaire des romans fantastiques et d’horreur.

Dans les pratiques païennes et néo-païennes modernes, Hécate occupe une place importante. Beaucoup la considèrent comme la protectrice des sorcières et des magiciens, tandis que d’autres la vénèrent comme la déesse des transitions et des frontières. La complexité de son personnage permet une grande variété d’interprétations et d’approches dans le culte moderne.

Son iconographie a également influencé l’art et le design modernes. Son imagerie trimorphe reste un symbole puissant, souvent utilisé dans des œuvres explorant les thèmes de la transformation, du mystère et du pouvoir.

Dans le monde universitaire, l’étude d’Hécate continue de susciter l’intérêt des chercheurs. Comme le note López-Carrasco, l’évolution de la compréhension d’Hécate, d’Hésiode à Plutarque et au-delà, est un domaine de recherche fascinant, qui révèle des informations précieuses sur l’évolution des perceptions religieuses dans le monde antique (López-Carrasco).

L’héritage d’Hécate dans les temps modernes démontre sa fascination intemporelle. En tant que symbole de la transformation, du mystère et du pouvoir, elle continue d’interpeller et d’inspirer, nous rappelant notre relation permanente avec les mythologies anciennes et la quête perpétuelle de l’homme pour comprendre les aspects sombres et mystérieux de l’existence.

L’exploration d’Hécate révèle une divinité qui transcende les frontières conventionnelles de la mythologie grecque. De son apparition initiale en tant que déesse bienfaisante chez Hésiode à sa transformation en puissance chtonienne et en protectrice de la magie, Hécate reflète les besoins spirituels changeants de la société antique. Sa nature trimorphe et son association avec les carrefours soulignent son rôle de médiatrice entre les mondes. Son culte, qui va des cérémonies publiques aux pratiques magiques secrètes, révèle la complexité de la pensée religieuse antique. La fascination intemporelle exercée par Hécate, qui se prolonge jusqu’à l’époque moderne, démontre le besoin permanent de l’homme de comprendre et d’apaiser les forces obscures qui régissent la vie et la mort.

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Bibliographie